Quelques heures après le
retour, je refuse que mon aventure « Zammour Trekking » prend fin,
j’essaie de prolonger l’expérience dans
ma tête, dans mon esprit, dans mon cœur, dans le plus profond de mon âme …. Car
ces 4 jours ont beaucoup changé ma perception du monde ….
Tout a commencé par un
coup de fil, 15 jours avant l’évènement, une des organisatrices, m’a proposé de
communiquer sur l’évènement dans mon club, le Running Club Tunis, un événement
camping et Rando, j’aimais bien le concept, mais ce n’est pas trop notre truc
dans le club … Elle m’a envoyé un mail que j’ai ouvert quelques jours plus
tard, et là … surprise un programme de dingue …
Le monde de la rando
aurait vu dans ce programme un plaisant camp de vacance, avec de bonnes journées de trekking, une
découverte de cette belle région … mais le runner et petit trailer qui est en moi
a flairé l’innovation, un nouveau concept, une aventure trail d’un nouveau
genre, une future très grande épreuve ; voilà le topo : 2 jours de
trekking, chaque jour 21 km pour identifier et MEMORISER le circuit, et le
troisième jour combiner les 2 circuits pour boucler un trail de 42 km à l’aveugle,
sans balisage, juste la mémoire visuelle, tout en passant par des checkpoints
obligatoires. Le tout dans des conditions de confort loin d’être optimales,
dans un camping, sous une tente, sur un matelas gonflable et avec une
nourriture non maîtrisée, car commune à tout le campement.
Donc flairant la grande
aventure, j’ai communiqué l’événement et j’ai tiré avec moi 6 autres aventuriers : oussama (la gazelle du désert) , Karim (le gladiateur au
grand cœur), Seif (la classe innée), Majed (le coureur geek), Mohamed (le
guerrier volontaire) et Naima (la camarade fonceuse)
Départ de Tunis à 5h du
matin, 8h plus tard, on est au milieu de nulle part dans un décor lunaire
impressionnant, accueil royal par les habitants du village de 200 âmes,
ambiance extraordinaire, repas collectif, nuit agitée sous la tente, et nous
voici le lendemain partis pour la première étape de trekking … 210
participants, des paysages à couper le souffle, un grand saut dans le temps et
dans l’espace (je vous encourage tous d’y aller un jour, c’est impressionnant)
… Karim, Oussama et moi, avons beaucoup observé, énormément communiqué, déjà on
était dans l’esprit de la compétition, il fallait passer inaperçu derrière les
randonneurs élites, ne pas trop se montrer et essayer de jauger et découvrir
ceux qui sont capables d’être des trailers … bien-sur tout en essayant de
mémoriser le circuit et avoir des points de repère.
Rapidement, on a compris
que vu la difficulté du parcours et la nature du terrain la grande majorité
était incapable de courir dans ce décors sauvage, seule une trentaine se
dégage du lot … On est resté sagement dans un groupe intermédiaire et on a
continué à profiter de cette journée hors norme avec des vues à couper le souffle,
des ravins, des montagnes rocheuses d’une difficulté extrême et beaucoup de
vent.
De retour à notre
campement, qui s’est déplacé dans un ancien château « Kssar Zammour »
j’ai squatté une « chambre » et je me suis installé et profité de
l’ambiance chaleureuse et festive du camp avec de la musique, de l’astronomie,
et beaucoup d’échange d’expérience avec ce monde de randonneurs.
Le lendemain, après une
nuit assez sommaire, petit déjeuner typique, et départ sur des camionnettes, 25
km plus loin pour une deuxième journée de trekking, apparemment la journée
d’hier a fait des ravages, pas plus de 90 partants, la sélection est déjà
commencée, départ, et toujours les mêmes qui sont devant, lors de cette étape
très technique, dans des nouveaux paysages plus sauvages, l’identification du
circuit était plus facile, et le circuit moins dangereux, plus propice à la
course, et c’est là dans ce circuit que Oussama et moi avons identifié les 5 ou
6 concurrents éventuels, et donc on pouvait se relâcher et profiter de la journée
surtout que le climat est idéal.
Retour au campement au
coucher du soleil, profiter de l’ambiance, car pour l’une des première fois je
me présente devant une course de 42 km, sans préparation spécifiques de
plusieurs semaines, sans préparation particulières des derniers jours et
surtout sans un plan de nourriture précis les dernières heures, car coupé du
monde, on mange ce qu’on nous sert. Une nuit horrible, un vent violent s’est
levé avec des levers de sables et de poussière qui ont traversé les murs de mon
campement de fortune, un froid glacial que mes 2 sacs de couchages n’ont pas
réussi à contenir, et je vous ne raconte pas le problème des besoins naturels
qu’il faut soulager dans cette nature hostile.
A 6h du matin j’étais
debout mais pas du tout prêt, déjà ébranlé par une nuit cauchemardesque, un
petit déjeuner sommaire, pas du tout adapté à ce qui nous attend, mais c’était
ça aussi cette aventure, il faut aller jusqu’au bout du truc …. La camionnette nous emmène comme la veille pour le départ, on est 12 seulement sur la
ligne, 12 sur les 210 du départ, deux journées extrêmement difficiles ont déjà
fait le ménage, et les conditions météo ont fait le reste, il fait froid, très
froid et le vent, beaucoup de vent (mais ça on en reparlera un peu plus tard)
12 sur le départ, dont 8
vrais coureurs et le reste des randonneurs élites qui méritent tout mon respect
car justement ils ont osé se présenter sur cette ligne de départ …. Départ
donné par moi-même, et c’est parti … 6 sont partis comme des flèches, ensuite
le groupe Running Club Tunis (moi, Oussama, Karim, Seif et Mejed) ensuite le
reste … En seulement 2 km, les randonneurs ont tous été dépassés, on ne les
reverra plus , commence ensuite un véritable choc tactique ….
3 devant nous, on est 4
dans la position de chasseurs, vent de face violent, on fixe une allure et on
se met en file indienne pour couper le vent avec des relais courts pour ne pas
s’épuiser car ça commence à monter dès le début …. 5 km sur cette allure puis
les difficultés commencent, on perd Seif très tôt, on passe les premiers checkpoints
et les adversaires toujours en ligne de mire, nous avons adopté la stratégie
d’attente, on était tous les 3 des marathoniens et on savait que la gestion de
la course était le point le plus important, commencent ensuite les passages
montagneux durs et techniques, on monte, on descend on saute les pierres, on
passe par des ravins, on essaye de s’orienter, petit à petit Karim montre des
signes de fatigue, il se fait lâcher définitivement au 12 ème kilomètre, reste
moi et Oussama en chasse des trois devant, on parle ensemble et on est en
admiration de leur niveau, on pensait sérieusement qu’ils allaient lâcher plus
tôt, au 13 ème km, une grosse descente dangereuse a permis à nos adversaires du
jour de prendre de l’avance, ensuite on passe un oasis et une petite route pour
se retrouver encore dans une montagne et des passages difficiles et compliqués,
on rejoint le groupe de devant au 16 ème km, ils étaient 3 : Mohamed , Ali
et Fares, après le rassemblement,
Mohamed accélère il semble encore frais …
Moi et Oussama, camarades de route
depuis plus de 2 ans on se comprend, par un simple regard, on s’est compris et
il se lance à sa poursuite, je reste entre Fares et Ali, Fares accélère
subitement, je le prends en chasse, mais malheureusement je touche de plein
fouet une plante piquante qui me lacère toute la jambe droite, je m’arrête pour
voir les dégâts, une coulée de sang impressionnante, mais apparemment rien de
grave, j’enlève les grosse épines de ma jambe et je continue … en ligne de mire
je n’avais que Ali devant moi, mais il prend une mauvaise route, je le suis et
je me rends compte après quelques centaines de mètres que ce n’est pas la bonne
route, je sprinte pour le rejoindre et on discute pour se concerter … on était
du mauvais côté de la montagne, il fallait monter sur 100 m à la verticale et
redescendre pour retrouver notre chemin (quand je parle de chemin c’est 30 cm
de piste sinueuse dans la montagne) on continue notre course ensemble jusqu'à
un autre checkpoint, encore un changement de décors, Ali marche et je continue
à courir pour le lâcher définitivement (chapeau l’artiste et respect), au km 18
je vois de loin Fares, il est encore sur la bonne route mais Mohamed et Oussama
ont pris leur envol, tout en me concentrant sur l’identification du circuit je
garde une allure stable entre marche rapide et course pour rejoindre finalement
Fares au km 21, il est cuit, ça se voyait sur ses traits, il s’arrête au ravitaillement,
alors que moi je prends une banane et je continue sur la descente qui va suivre
et qui dure 2km (Fares est une graine de grand trailer, j’en suis sur)
La descente m’a permis de
me relâcher et de retrouver le souffle et la sérénité, j’ai aussi profité pour
vérifier que les saignements de ma jambe se sont arrêtés et que les blessures
n’étaient pas très profondes.
Au Km 23, je trouve Zied,
l’organisateur, je demande mon chemin sur la portion suivante, il m’indique sommairement
la piste et envois quelqu’un avec moi sur une centaine de mètres, mauvaise pioche, il se trompe quand même de route et je me trouve à faire un aller
retour en plus … et là commence un véritable calvaire, je me suis totalement
perdu dans un fossé naturel, un véritable labyrinthe créé par les coulées
d’eaux sur des dizaines d’années, je monte, je descends, et je ne trouve aucune
piste, je cherche les traces de nos pas lors des journées de trek (le passage
d’une centaine de personnes laisse certainement des traces) rien, tout est sec,
et encore ce vent qui emporte tout sur le passage, je change de tactique, je
cherche le point le plus haut du paysage et je prends sa direction, je le monte
face au vent, je cherche un repère …
Je regarde au loin le montagne de Zammour
et je la laisse dans mon dos et je continue, à l’aveugle, je retrouve un
semblant de piste, je le poursuis, mais je suis loin de mes points de repères,
je regarde les alentours, je vois une personne de très loin, me faire signe,
elle m’indique un sens, je suppose qu’elle a vu les 2 premiers prendre cette
direction, je suis cette piste, pour enfin retrouver quelques Kms plus loin mon
point de repère que je réussis à atteindre, aucune personne pour faire le checkpoint depuis un bon moment, je ne comprends pas où est le problème, mais je
continue, je traverse une petite route (je suis retourné dans le bon circuit)
et j’attaque la partie la plus difficile du parcours, 8 km de pure montagne
rocheuse jusqu’à une autre route.
Je ne sais plus si c’est
la fatigue de deux jours de trekking, le manque de nourriture, les nuits difficiles ou le fait de me perdre une première fois, mais je n’ai plus aucun
souvenir du circuit, je ne me rappelle plus des passages à prendre, je regarde
devant moi et je ne sais vraiment pas quelle piste prendre car tout simplement
je ne vois aucune piste … un petit moment de repos pour manger et me
ravitailler et je réfléchis … dans mes souvenirs, il y avait un ravin à ma
gauche et la montage à ma droite … c’est la direction qu’il faut prendre … et
dans cette portion très haute, le vent et si violent qu’il était même dangereux
de s’arrêter. Je ne vous cache pas que ici j’ai perdu ma concentration et je
suis sorti de la course, je marchais de très long moments pour chercher ma
route dans ce paysage hostile et rocheux, j’ai pris beaucoup de
détours mais en vain, je ne trouve pas le circuit… là, je prends la même
tactique que tout à l’heure, je cherche le point le plus culminant et je prends sa direction, je m’offre par la même occasion une montée supplémentaire avec un
vent violent tournillant qui me lance des tonnes de poussière en plein face et
qui risque à tout moment de tout emporter sur son passage, c’était vraiment un
combat pour atteindre ce sommet. Une
fois tout en haut je regarde le paysage autour et je remarque tout au fond, minuscule,
presque invisible une base militaire non loin d’un de mes points de repère … je
trace une ligne droite imaginaire et je fonce.
J’avais un cap à suivre,
heureusement que pour cette direction le vent est de dos, mais imaginer avoir
un vent de 50km/h dans le dos et un ravin de 200m à juste 1 mètre à ta gauche, à chaque faux pas, le
vent me jettera tout au fond, je cours et je marche sur cette ligne imaginaire
que j’ai tracée, si ça monte, je monte, si ça descend, je descends, je garde le
cap, je franchis les obstacles, je frôle l’enfer parfois, cette ligne droite
imaginaire était mon obsession, je ne la quittait pas malgré les passages
dangereux qu’il faut dépasser car si je m’éloigne de ce cap je risque de ne
plus trouver la civilisation ou de me retrouver mort, emporté par le vent au
fond d’un ravin … je vous épargne les
autres détails, j’atteints finalement un checkpoint, apparemment les
organisateurs se sont inquiétés, j’ai expliqué que je me suis perdu et que je
n’ai pas suivi le circuit conventionnel et j’étais prêt à arrêter la course
s’il estimaient que j’ai triché sur le parcours, il m’a encouragé et m’a
expliqué que même les 2 premiers se sont un peu perdus en route et qu’il n’y avait
pas de toute façon des points de contrôle intermédiaire dans cette zone du
circuit (trop dangereuse avec ce vent ….. sans commentaire) …. Je prends 3 min
pour me ravitailler … et je reprends …. Mais là le vent qui était dans mon dos
je le retrouve en plein face pendant 9km, heureusement que le chemin n’était
pas dangereux mais il y avait beaucoup de poussières levée par ce vent … il
fallait combattre un véritable mur de vent de face et de poussière pour avancer
… c’était horrible, un combat à chaque pas, on ne parle plus de course, on
parle de survie, de sortir toutes ses ressources physiques et mentales pour
avancer, pour courir parfois dans les parties descendantes du circuit … pas
après pas, j’atteint la fameuse mosquée au Km 40, toutes les personnes de
l’organisation étaient la bas, seules 3 personnes n’ont pas arrêté leur course,
Mohamed a déjà franchi la ligne, je voyais Oussama tout en haut de la montagne
à une centaine de mètres de la ligne d’arrivée et moi à 2Km avec une longue
montée de plus de 200m de D+ à franchir,
mais bizarrement la vue de cette montagne
m’a redonné des forces et je l’ai franchie facilement pas après pas pour
atteindre l’arrivée là où m’attendaient mes amis.
La course terminée sans
grand dégâts, j’étais extrêmement fier de l’avoir terminé, c’était une épreuve
physique et morale extraordinaire, un homme seul face à la nature déchaînée,
sans repère, sans balisage, à la seule force de ses pieds, de son mental et de
sa mémoire, je ne suis certainement pas parmi les meilleurs dans ma discipline
mais je ne recule pas devant des difficultés et c’est dans cette difficulté que
je retrouve un sens à mon existence.
Bon, il fallait ensuite
ranger tout le matériel de camping l’emporter sur le dos sur une distance de 2
km, continuer les festivités jusqu’à 22h, prendre le bus de nuit
pendant 8h
pour arriver chez moi à 7h du lendemain et enfin enlever mes chaussures,
prendre une douche ... et dormir.
Qu'est ce que j’ai gagné de l’aventure ? …
au km 40, devant cette fameuse mosquée, les hommes qui
m’attendaient était des vrais montagnards, des durs, des organisateurs de
randonnées chevronnés qui en ont vu des choses, qui connaissent le terrain, des
gens du sud braves, dont la dureté du climat les a rendu solide comme du roc ….
Quand je suis arrivé sur le camp 3 jours plut tôt, je n’étais personne pour eux,
j’étais invisible au milieu de la masse … mais quand je suis arrivé en courant
à cette mosquée après 40 km d’effort intense, j’ai regardé dans leur yeux et
j’ai vu le RESPECT …. Et ces regards, je m’en souviendrais tout ma vie … et si
j’avais à choisir entre un million de dollars et le respect dans le regard de
ces braves gens du sud, je choisirais sans hésiter la deuxième option.
PS : ce récit est le
coté sportif de l’aventure, mais le coté humain des 4 jours à Zammour est 1000
fois plus intense, mais cela je le garde pour moi au fond de mon esprit et au
plus profond de mon cœur que le petit village inconnu de Zammour dans le sud
tunisien a changé à jamais.
« Ska »
عشنا معاك في زمور
RépondreSupprimer😍😍😍
Respect Skander 1000 BRAVO,
RépondreSupprimerToutes mes félicitations champion, bravo.
Un grand respect Mr skander c'est honorable d'avoir des sportifs comme vous chez nous...je vois la discipline de votre équipe pendant les premiers pas du trail ...Je vous remercie énormément de votre participation et vos encouragements
RépondreSupprimerPS: Un très bon récit
Chapeau bas cher Skander pour l'exploit sportif et aussi pour le recit captivant.
RépondreSupprimerBravo à toute l'équipe RCT pour la discipline et le respect.
RépondreSupprimerCher Skander,
RépondreSupprimerCe n’est pas donné à une personne normale de reconnaître les enjeux visibles et cachés d’un terrain tel que le village de Zammour et ces alentours.
Après la lecture de votre poste je vois un passionné de sa discipline qui a pu voir sa victoire dans les yeux des Zammouris, mais d’un autre côté soyez sûr que ce respect dépasse la compétition.
On reconnaît et ça nous fait honneur que nos hôtes partagent avec nous la géographie le climat et l’espoir de rester sur ces lieux.
La famille Zammouri a réussie à survivre dans ce village depuis presque 1000 an, elle continuera à résister grâce à votre regard à votre appréciation et à la vraie valeur que vous portez dans le petit fonds de votre cœur.
Dans l’attente de vous connaître de plus près.
Z’ammour trekking III
C'est un vrai exploit Bravo SKAN pour ton engagement et ton abnégation
RépondreSupprimerJe crois que les difficultés de cette aventure dépassene de loin celles des templiers
que le petit village inconnu de Zammour dans le sud tunisien a changé à jamais.
RépondreSupprimerOuii; cet endroit nous a apporte plein d'emotion plein de joie et plein damour